Description

[Extrait]
"Méditerranée, sixième partie du monde. Il ne fait pas de doute pour moi que la Méditerranée soit un continent, non pas un lac intérieur, mais une espèce de continent liquide aux contours solidifiés. Déjà Duhamel dit qu'elle n'est pas une mer, mais un pays. Je vais plus loin, je dis : une patrie. Et je spécifie que, pour les peuples de cette mer, il n'y a qu'une vraie patrie, cette mer elle-même, la Méditerranée." p. 15

"Non, la Méditerranée n’a jamais séparé ses riverains. Même les grandes divisions de la Foi, et ce conflit spirituel de l’Orient et de l’Occident, la mer ne les a pas exaltés, au contraire adoucis en les réunissant au sommet sensible d’un flot de sagesse, au point suprême de l’équilibre. [...]
Du temps de Charlemagne qui convertissait les Saxons à la hache, l’Occident n’était pas sans faire quelques grâces aux suppôts de Mahom […] Ailleurs, je m’en suis expliqué, faisant appel aux juifs et aux Marseillais agents de liaison éternels, au trafic marin, au négoce, à la vente et à l’achat des denrées exotiques qui ne se sont jamais embarrassées des guerres ni des religions pour faire leurs petites et leurs grandes affaires […] Fos, Arles et Marseille n’ont pas attendu les fresques de Puvis de Chavannes pour être les Portes de l’Orient, avec leurs entrepôts de baume et de papyrus, hier, comme aujourd’hui la boutique arménienne d’Akinian, quelque part vers la rue Vacon ou la rue du Jeune-Anacharsis, où règnent l’abricot de Damas et le loukoum de Tripoli, les olives de Calamata et le mastic en grains, les anchois de Salonique et le foul d’Egypte, le yalandji-dolma et le djevousli-soudjouc… Feuilles de vigne farcies au riz et saucissons de noix avec du jus de raisin, vous avez une odeur des parfums d’Arabie…[...]
Je sais et je répète que les pays de la Méditerranée ont toujours été faits pour s’agréger l’un à l’autre aussi naturellement que la vigne à l’olivier se marie. Il a fallu notre sens moderne des nationalités et sa folle exaltation contemporaine, pour rompre en apparence cet enchantement. Ne pas confondre patrie et nationalisme. Je proteste contre la mar nostro des Provençaux, contre il mare nostro des Italiens, mauvais héritage du mare nostrum des Latins. A chacun la sienne, c’est-à-dire y compris celle des autres ? Non, il n’y a qu’une Méditerranée. [...]
Et je protesterais aussi fort contre ceux qui chercheraient, de ce sentiment de race, à tirer un autre racisme. Je ne veux retenir de la race que le rassemblement fraternel et non l’opposition. […] Il y a déjà plus que des liens de chair et de sang entre ceux de mon peuple […] Imagine-t-on qu’une folie meurtrière les puisse jeter les uns contre les autres ? On en frémit […], et déjà l’on voit la terre des nécropoles plus vite soulevée par la protestation des morts que par les fratricides engins des vivants insensés."
"Non. Il n’y a qu’une Méditerranée, maternelle à tous les siens. Et rien ne m’empêchera d’avoir toujours les yeux du cœur fixés sur le phare le plus émouvant que mes frères aient allumé : le monument que les Génois élevèrent en leur ville al mare amico, symbole de la race bleue d’où je suis issu, la mer amie, notre amie, Notre Mère la Mer, aux pieds de qui je prononce mon credo : si la France est ma nation, si Marseille est ma cité, ma patrie, c’est la mer, la Méditerranée, de bout en bout." pp. 21-24

Titre

Jeunesse de la Méditerranée [Extraits / Citations]

Éditeur

Gallimard (Paris)

Date

1935

Langue

Format

p. 15 ; pp. 21-24

Droits

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