Description

Lors de sa parution en 1953 le récit Il mare non bagna Napoli parut s’inscrire dans le filon du "néoréalisme". Toutefois, né de la rencontre entre l’écrivaine avec une ville de Naples sortie de la guerre meurtrie et défigurée (dernière rencontre puisque la romancière n’y fera jamais retour), ce livre est en fait la chronique d’un sentiment profond de dépaysement. Blessée et déchirée entre ses parts lumineuses et obscures, la ville devient un miroir sur lequel l’auteure projette ce quelle définit elle-même (cf. Le chapitre final Le giacchette grigie di Monte di Dio) comme sa propre "névrose" qui l’empêche d’accepter la réalité et sa substance sombre, l’impitoyable vie qui corrompt et dévore chaque chose, – et en même temps l’identification du "noir enchantement" de cette ville et de ce monde hallucinants et terrifiants contre lesquels cette œuvre s’élève.

La Naples qui émerge au fil des pages des 5 nouvelles et récits d’Ortese est une ville monstrueuse et comme hagarde, plongée dans une torpeur qui n’a d’égal que le grouillement chaotique de ses rues sombres des quartiers populaires dont la description emprunte souvent une dantesque descente aux enfers. Les anachronismes et les paradoxes de l'Italie d'alors, comme chloroformisée selon l’auteure par vingt ans de dictature, sont comme concentrés dans cette ville frappée par la guerre. Le recueil ouvre métaphoriquement sur la vision sombre et désenchantée d’Eugenia sur la réalité que les récits tour à tour fictionnels et journalistiques dévoilent et précisent peu à peu au fil des chapitres. La jeunesse et les enthousiasmes de la petite fille qui croit trouver dans la paire de lunettes que lui offre sa tante la promesse d’un monde lumineux, buttent inextricablement contre les illusions perdues et la lucidité implacable de sa vision retrouvée sur la réalité du monde qui l’entoure...

L’ensemble des récits révèle deux visages de Naples : une Naples élégante des beaux palais, des jardins luxuriants, aux larges allées baignées de lumière et une Naples dont la laideur s’insinue dans l’obscurité des ruelles, entre les ruelles de tuf, à Bagnoli, vers la tombe de Leopardi. La ville apparaît livide, incapable de réaffirmer sa gloire antique. Derrière le mythe de sa beauté, l’auteure cherche en vain la puissance vitale originelle et n’y identifie que l’intolérable contrepoint de la macabre misère et corruption des corps et des êtres souvent saisis sous les contours de larves informes.

Titre

Analyse contributeur. Il mare non bagna Napoli de Anna Maria Ortese

Date

2019

Langue

Format

5 p.

Droits

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